Comorbidités et vieillissement chez les personnes infectées par le VIH
Les progrès spectaculaires en matière de thérapeutique antirétrovirale (ARV) au cours des dernières décennies ont permis de modifier profondément le cours de la maladie VIH, de la « normaliser » et d’allonger la survie. Cependant, les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) ont encore, par rapport à la population générale, un risque plus élevé de maladies que l’on nomme comorbidités, non infectieuses le plus souvent, en lien avec des facteurs de risque persistant chez les PVVIH, leurs traitements et une immunodépression non complètement restaurée.
Maladies cardiovasculaires
Les maladies cardiovasculaires sont l’une des principales causes de morbidité et de mortalité chez les PVVIH. Leur risque d’évènement cardiovasculaire est supérieur à celui de la population générale, survenant à un âge plus précoce, avec une exposition plus importante aux facteurs de risque vasculaire connus, comme le tabac.
Des études récentes aux États-Unis, au Danemark et en Suisse suggèrent que le risque d’infarctus du myocarde (IDM) chez les PVVIH non-fumeurs est équivalent à celui de la population générale. Ceci pourrait être lié à une prise en charge plus précoce de l’infection par le VIH, à l’utilisation d’ARV moins toxiques pour le cœur au cours des dernières années, ainsi qu’à une meilleure reconnaissance et prise en charge du risque cardiovasculaire.
Ce qui augmente le risque cardiovasculaire, c’est la fréquence élevée du tabagisme et de la consommation d’autres substances : cannabis, cocaïne. Le tabagisme apparait comme le facteur de risque faisant perdre le plus d’années de vie chez les PVVIH sous ARV.
L’inflammation induite par le VIH aggrave le risque de maladie coronaire. Par contre, il est maintenant bien établi que la suppression virale obtenue avec le traitement ARV est associée à une diminution du risque d’évènement cardiovasculaire chez les PVVIH par rapport à des personnes non traitées ou insuffisamment traitées.
Un risque accru d’événements cardiovasculaires a été associé avec la prise d’IP de 1ère génération, sur la base notamment des données à grande échelle de l’étude observationnelle multi-cohorte D:A:D. Parmi les INTI, l’abacavir, pourrait augmenter, en cas d’exposition récente, le risque cardiovasculaire, encore que ceci n’ait pas été confirmé par d’autres études, françaises en particulier.
La prévention des maladies cardiovasculaires chez les PVVIH est une priorité compte tenu des risques accrus énoncés. Les PVVIH doivent évidemment bénéficier des mêmes approches thérapeutiques que le reste de la population, ce qui n’est pas toujours le cas. Il a été démontré une sous-utilisation des traitements hypolipémiants (anti-cholestérol), notamment des statines, des antihypertenseurs et de l’aspirine chez les PVVIH. En cas d’IDM, les PVVIH bénéficient moins souvent que les patients VIH- de procédure invasive ou de pontage coronarien. De même, les femmes bénéficient moins d’interventions cardiovasculaires, de procédures invasives, d’utilisation d’hypolipémiants et d’antihypertenseurs que les hommes.
Il faut s’assurer que les traitements ARV n’engendrent pas d’interactions médicamenteuses potentiellement délétères. Enfin le thérapeute VIH et l’équipe soignante doivent assurer une prise en charge ferme mais bienveillante des addictions comme le tabac, de la lutte contre la sédentarité ou les habitudes alimentaires néfastes.
Troubles lipidiques
Les anomalies lipidiques sont fréquentes au cours de l’infection par le VIH. Elles peuvent concerner une élévation du LDL-cholestérol (LDL-c) « le mauvais cholestérol », une élévation des triglycérides et une baisse du HDL-cholestérol (HDL-c). Les troubles lipidiques sont importants à dépister compte tenu de leur rôle dans l’athérosclérose.
Plusieurs facteurs favorisent ces troubles lipidiques : habitudes alimentaires et sédentarité, notamment.
L’infection par le VIH elle-même, sans traitement ARV, est responsable d’une hypertriglycéridémie et d’une hypocholestérolémie avec hypo-HDL-cholestérolémie qui peut être aggravée par l’utilisation de certains ARV :
les inhibiteurs de la protéase (IP) IP boostés par le ritonavir (lopinavir) ; à un moindre degré, atazanavir ou darunavir ;
les INTI actuellement utilisés (abacavir, tenofovir, TAF) sont neutres sur le statut lipidique, voire l’améliorent (TDF) ;
parmi les INNTI, l’éfavirenz est responsable d’une augmentation des triglycérides et du cholestérol total, alors que la névirapine a un profil lipidique favorable avec une augmentation du HDL-c. L’étravirine, la rilpivirine ou la doravirine présentent un profil lipidique neutre ;
les inhibiteurs de l’intégrase ou du CCR5 n’ont pas ou peu d’effets sur les lipides et améliorent le profil lipidique des personnes prétraitées avec des IP.
Diagnostic d’une hyperlipidémie
Le bilan lipidique est réalisé après un jeûne de 12 h, en régime alimentaire stable. Il comporte un dosage du cholestérol total, du HDL-c, des triglycérides, et un calcul du LDL-c qui ne peut être effectué quand le taux de triglycérides est supérieur à 4 g/L (4,5 M/L). Il s’intègre dans le bilan initial pré-thérapeutique, puis 6 mois après l’initiation ou la modification d’un traitement ARV.
Que faire devant un cholestérol élevé ?
Avant tout, il faut insister sur l’hygiène de vie globale, avec une amélioration de la diététique, une incitation à l’exercice physique régulier et, le cas échéant, un sevrage tabagique.
Les marges d’amélioration par la personne sont grandes :
réduire absorption excessive d’alcool, de produits sucrés (associés au diabète et à une élévation des triglycérides) ou de graisses d’origine animale (responsables d’une élévation du LDL-c) ;
encourager la perte de poids en rééquilibrant le régime alimentaire. Le recours à une consultation diététique spécialisée permet d’établir un diagnostic personnalisé pour une meilleure prise en charge. La correction diététique peut suffire en quelques semaines à corriger le surpoids et les troubles métaboliques ;
inciter à la pratique d’un exercice physique régulier et soutenu (30 minutes par jour en continu si possible ou 1 heure 3 fois par semaine).
Optimiser le profil lipidique du traitement antirétroviral
Modifier le traitement en utilisant les ARV les moins délétères pour le profil métabolique peut améliorer le profil lipidique du patient, comme par exemple remplacer un l’IP/r ou l’éfavirenz par un autre INNTI ou une anti-intégrase, moins délétère sur le profil lipidique.
Traitement hypolipémiant
Si les mesures énoncées ci-dessus ne permettent pas d’atteindre l’objectif fixé pour le LDL-c en 3 à 6 mois, l’introduction d’un agent hypolipémiant - comme une statine - est justifiée. Ces médicaments peuvent entrainer des interactions médicamenteuses avec les ARV (crampes musculaires et anomalies du foie).
Les statines sont le traitement de référence pour abaisser le taux de LDL-c, avec un rapport bénéfice/risque démontré sur des études en prévention primaire et secondaire dans la population générale. Seule l’utilisation de statines non métabolisées ou peu métabolisées par le foie (pravastatine, rosuvastatine) est recommandée avec le ritonavir ou le cobicistat.
Prise en charge d’une hypertriglycéridémie
Il s’agit du paramètre lipidique le plus sensible au régime (alcool, sucres rapides).
L’intervention d’un(e) diététicien(ne) et une adaptation du traitement ARV, en privilégiant les molécules les moins pourvoyeuses de dyslipidémie (cf. ci-dessus), suffisent le plus souvent.
En cas de taux de triglycérides > 5 g/L de façon prolongée, un traitement par fibrates est recommandé. En cas d’hypertriglycéridémie sévère (10 g/L) et persistante, compte tenu du risque de nécrose osseuse et de pancréatite aiguë, les mesures diététiques doivent être drastiques et un traitement par fibrates est justifié.
Diabète
Le diabète de type 2 est une maladie complexe et multifactorielle, résultant à la fois d’une résistance à l’action de l’insuline et d’un défaut de sécrétion de cette hormone. La susceptibilité au diabète est modulée par des facteurs de prédisposition génétique, des facteurs environnementaux, modifiables ou non, dont certains sont liés à l’infection par le VIH et à son traitement. Le dépistage et le traitement du diabète doivent s’intégrer dans la prise en charge de routine des patients infectés par le VIH, en particulier pour limiter l’excès de risque cardiovasculaire associé à la maladie.
Épidémiologie du diabète associé à l’infection par le VIH
La majorité des études rapportent une fréquence/prévalence du diabète un peu augmentée chez les patients infectés par le VIH en comparaison avec la population générale, avec cependant une importante disparité géographique (19,1 cas pour 1000 personnes-années sur le continent américain, 15,9 cas en Afrique, 8 cas en Europe). D’autres données, issues d’une étude anglaise, rapportent une augmentation de la prévalence du diabète, passant de 6,8% à 15,1% entre 2005 et 2015, en parallèle de l’augmentation des facteurs de risque classiques du diabète, au premier plan desquels l’âge et l’index de masse corporelle (IMC). Ces chiffres préoccupants soulignent la nécessité d’un renforcement des mesures de prévention et de traitement du diabète associé à l’infection par le VIH.
Facteurs de risque du diabète au cours de l’infection VIH
Facteurs classiques
Les facteurs de risque « classiques » du diabète sont au premier plan chez les PVVIH : âge, sexe masculin, antécédents familiaux de diabète, surpoids, obésité, sédentarité. S’y associent les éléments du syndrome métabolique avec la présence d’une hypertrophie adipeuse abdominale, une dyslipidémie métabolique caractérisée par un HDL-c bas et des triglycérides élevés, une hypertension artérielle, une stéatose hépatique (surcharge lipidique du foie = « foie gras »).
Rôle des ARV
L’étude des grandes cohortes, en particulier européennes (D:A:D, Swiss cohort) a clairement montré que l’exposition aux ARV les plus anciens (stavudine, didanosine, zidovudine, et/ou premiers inhibiteurs de protéase) augmentait significativement le risque de développer un diabète, indépendamment des facteurs de risque classiques.
Les ARV plus récents sont moins susceptibles de favoriser la survenue d’un diabète.
L’initiation du traitement ARV est généralement associée à une prise de poids, qui s’intègre dans l’amélioration globale de l’état général des patients.
Le continent africain, où 2/3 des cas de diabète ne seraient pas diagnostiqués en population générale, paie un lourd tribut aux complications métaboliques associées au VIH, du fait de la conjonction de plusieurs de ces facteurs de risque, auxquels il faut ajouter la malnutrition lors de l’initiation des ARV, l’absence d’amélioration du statut nutritionnel sous traitement et les co-infections par le VHC ou la tuberculose.
D’autres facteurs liés au VIH, comme l’inflammation chronique à bas bruit, l’immunodéficience et les perturbations de l’environnement bactérien (microbiote) intestinal peuvent induire une baisse d’efficacité de l’insuline, et favoriser la survenue de diabète.
Diagnostic du diabète
Le diabète est défini par une glycémie (dosage du sucre dans le sang) supérieure à 7 mmol/l à jeun, ou une hyperglycémie supérieure à 11,1 mmol/l mesurée de façon aléatoire ou 2 heures après la prise de 75 g de glucose à jeun.
Il est également important de dépister les états « pré-diabétiques » (hyperglycémie à jeun supérieure à 5,6 mmol/l) La mesure de la glycémie à jeun doit être surveillée de façon systématique chez tous les patients infectés par le VIH, au moins tous les 6 mois à 1 an.
Prise en charge du diabète chez les patients infectés par le VIH
La prise en charge du diabète chez les patients infectés par le VIH doit, comme en population générale, comporter :
en première intention des mesures hygiéno-diététiques, déterminées en consultation avec un/une professionnel/le de la diététique pour conseiller les patients qui sont, pour beaucoup, loin de connaître les principes d‘une alimentation équilibrée et adaptée à leur mode de vie et à leurs pathologies métaboliques. Une meilleure éducation à l’activité sportive, adaptée à chacun, est également nécessaire ;
une mesure régulière du tour de taille qui permet de surveiller l’évolution de l’adiposité centrale ;
un traitement antidiabétique : la metformine est l’antidiabétique oral de première intention. Il faut être prudent lorsque la metformine est co-administrée avec le dolutégravir, qui entraîne une augmentation des concentrations de la metformine. Les autres antidiabétiques sont utilisés chez les patients infectés par le VIH selon les mêmes recommandations qu’en population générale, et nécessitent un avis diabétologique ;
la modification du traitement ARV est discutée en tenant compte du risque métabolique de chaque molécule et de la situation immunovirologique.
La prise en charge du diabète s’accompagnera de mesures de prévention et de dépistage du risque cardiovasculaire, du contrôle de la pression artérielle (objectif <130/80 mmHg) et d’un bilan lipidique. Les complications micro-vasculaires du diabète (rétinopathie, néphropathie, neuropathie) seront régulièrement dépistées par l’examen clinique, la recherche de microalbuminurie et la surveillance de la fonction rénale, ainsi que l’examen du fond d’œil.
Troubles neurocognitifs
Les plaintes cognitives sont fréquentes chez les PVVIH, avec une fréquence pouvant varier entre 5% et 36%. La détection et la prise en charge de ces troubles sont importantes du fait de leurs conséquences sociales, professionnelles mais aussi médicales, avec un risque d’échappement au suivi et au traitement. Actuellement, les troubles neuro-vasculaires sont la cause principale de troubles cognitifs chez les PPVIH de plus 50 ans.
Qu’appelle-t-on un trouble neurocognitif (TNC) ?
Un TNC se définit comme une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs.
Définitions
Un TNC majeur (anciennement démence) : une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs, suffisamment importante pour ne plus être capable d’effectuer seul les activités de la vie quotidienne (perte d’autonomie) : gérer son budget, ses traitements, faire ses courses, utiliser les transports, le téléphone.
Un TNC léger : une réduction acquise, significative et évolutive des capacités dans un ou plusieurs domaines cognitifs, mais avec des capacités préservées permettant d’effectuer seul les activités de la vie quotidienne.
Détection des TNC
La première étape consiste à écouter attentivement les plaintes du patient et de son entourage, et l’utilisation d’un interrogatoire dirigé permettra une détection efficace. Il existe des questionnaires simples comme le questionnaire de Simioni (tableau 1) aisément réalisable par un auxiliaire paramédical préalablement à la consultation qui permettent d’évaluer le niveau de la plainte.
Certains patients pouvant nier leurs troubles, une attention particulière sera portée aux patients qui ratent régulièrement leurs rendez-vous, ne comprennent pas ou ne prennent pas leur traitement.
En cas de réponse « pathologique » à ces questionnaires ou de plainte avérée et répétée, il faut aller vers une évaluation en milieu spécialisé avec des tests neuropsychologiques plus détaillés.
Les atteintes du système nerveux central liées au VIH
Depuis l’avènement des ARV, la prévalence des troubles cognitifs sévères chez les PVVIH (démence associée au VIH) a énormément chuté. Cependant, même chez les patients dont la charge virale est indétectable depuis plusieurs années, ces troubles cognitifs semblent un peu plus fréquents que dans la population générale. Les causes de cette dégradation sont multiples. Le rôle des ARV ne peut être exclu (accumulation toxique ou insuffisance de pénétration avec réplication virale cérébrale). La ponction lombaire recherchera la présence de virus par PCR dans le liquide céphalo-rachidien (charge virale, comme dans le sang).
Les troubles neuro-vasculaires
Chez les PPVIH de plus de 50 ans, la démence vasculaire est la cause principale de troubles cognitifs. La prévalence des affections vasculaires, comprenant les accidents vasculaires cérébraux, est anormalement élevée chez les PPVIH. Dans une large méta-analyse incluant près de 800 000 PVVIH, le risque relatif d’accident vasculaire cérébral était de 2,5 fois plus important que dans une population comparable. Outre la fréquence augmentée des facteurs de risque cardiovasculaire (en particulier surpoids, tabagisme et consommation de cannabis ou de cocaïne) et les troubles lipidiques favorisés par certains ARV, la séropositivité VIH est donc un facteur de risque vasculaire pour le cerveau indépendant.
Les démences dégénératives
Ce vocable regroupe un large spectre d’affections, dont la plus fréquente et la plus connue est la maladie d’Alzheimer. Un bilan cognitif complet permet d’orienter le diagnostic et de conduire à une prise en charge spécialisée.
Les troubles du sommeil
Ils constituent une plainte fréquente de consultation. Leur origine est multifactorielle. Ils peuvent être provoqués par certains antirétroviraux comme les INNTI ou les inhibiteurs d’intégrase, des troubles anxieux ou dépressifs, ou une mauvaise hygiène du sommeil, enfin encore par un syndrome d’apnée du sommeil. L’interrogatoire du partenaire est souvent éclairant. Si aucune cause n’est trouvée aisément, une évaluation par enregistrement du sommeil est importante pour établir les différentes composantes des troubles et guider le traitement.
Les troubles psychiatriques
Les troubles anxieux et dépressifs mais aussi les troubles psychotiques sont associés à des troubles attentionnels et dysexécutifs. Les traitements psychotropes aggravent aussi les troubles cognitifs et il faudra trouver un difficile équilibre entre le contrôle des troubles psychiatriques et les effets néfastes des psychotropes sur la cognition. Cela nécessite une collaboration étroite entre les intervenants afin de privilégier les approches non médicamenteuses.
Les atteintes toxiques
La consommation chronique, même très modérée, d’alcool ou de drogues psychotropes révèle ou aggrave les troubles cognitifs chez les patients dont les réserves cognitives sont entamées.
La toxicité cérébrale des ARV, en particulier ceux présentant une bonne pénétration cérébrale, reste débattue. Certains médicaments peuvent entrainer des troubles du sommeil (inhibiteurs d’intégrase, éfavirenz) mais aussi des troubles de type de sensation d’étrangeté, dépression. Les ARV peuvent aussi favoriser indirectement les troubles cognitifs, par exemple en altérant la qualité du sommeil.
Bilan et prise en charge des troubles cognitifs
Le bilan doit être réalisé en milieu spécialisé avec un examen neurologique complet avec des tests cognitifs, une imagerie cérébrale (IRM)
Le traitement des affections psychiatriques ou des troubles du sommeil peut nettement améliorer les troubles cognitifs et la qualité de vie des PPVIH. Si le virus VIH réplique au niveau du LCR, les ARV seront modifiés pour obtenir une meilleure pénétration cérébrale. Il est important de réduire les facteurs de risque cardiovasculaire, en optimisant l’utilisation des psychotropes, en arrêtant la consommation d’alcool ou de drogues.
Une approche préventive est importante : contrôle optimal du VIH, réduction des facteurs de risque cardiovasculaires. Une perte de poids et une activité physique régulière sont indiquées, ainsi que le maintien de contacts sociaux et intellectuels.
Une prise en charge optimale des troubles cognitifs avérés requiert une équipe multidisciplinaire composée de médecins, infirmiers, psychologues, neuropsychologues, assistants sociaux, diététiciens, kinésithérapeutes, ergothérapeutes au sein d’une unité thérapeutique spécialisée
Cancers
Dès le début de l’épidémie de l’infection VIH, certains cancers tels que la maladie de Kaposi, les lymphomes non-hodgkiniens et le cancer du col utérin ont fait partie de la liste des pathologies classant sida, en raison de leur fréquence particulièrement élevée chez les patients infectés par le VIH et immunodéprimés. Si ces cancers ont diminué du fait de l’instauration de traitements ARV efficaces conduisant à l’amélioration de la survie, d’autres cancers sont apparus - appelés non classant sida - souvent plus fréquemment que dans la population générale (de l’ordre de 2 fois plus)
Plusieurs éléments favorisent la survenue de ces cancers :
le déficit immunitaire induit par le VIH ;
les virus oncogènes comme HHV8 (pour le sarcome de Kaposi), EBV (pour les lymphomes), HPV (pour le cancer du col utérin et le cancer anal), VHB et VHC (pour le cancer du foie) ;
le tabac dont la consommation est plus fréquente que dans la population générale.
Le tabagisme est primordial dans la survenue de nombreux cancers : larynx et cancer broncho-pulmonaire (plus de 80%), vessie (plus de 50%), mais aussi oropharynx, œsophage, cavité orale, foie, estomac, nasopharynx, colon, ovaires et rein (entre 8 et 50%). D’autre part, la consommation de cannabis, importante dans certaines sous-populations de PVVIH, est un facteur de risque possible de cancers.
Tableau 2 : Fréquence du cancer chez les PVVIH par rapport à population générale et facteurs associés
Fréquence cancer
PVVIH /population générale
Rôle de l’immunodépression
Virus en cause
Autres facteurs importants
Lymphome non-hodgkinien
x 3 à 76
++++
EBV
Age
Maladie de Kaposi
x 103 à 3640
+++
HHV-8
Age
Cancer cervical
x 2 à 5,8
+
HPV
Tabac
Lymphome de Hodgkin
x 7 à 26
++
EBV
Cancer de l’anus
x 14 à 80
+
HPV
Age
Pharynx et cavité orale
x 1,6 à 2,3
+
HPV
Alcool, tabac, âge
Cancer du foie
x 2,9 à 10,9
+/-
HBV,HVC
Alcool, âge
Prise en charge des cancers
Tout doit être fait pour que les patients PVVIH soient traités dans les mêmes conditions que la population générale. La présence d’autres comorbidités, la prise de co-médications, la nécessité de maintenir une charge virale VIH indétectable durant le traitement carcinologique et le risque d’interactions entre les ARV et les molécules utilisées en chimiothérapie rendent nécessaire la mise en œuvre d’une organisation spécifique pour la prise en charge, avec une interaction entre l’équipe soignante VIH et l’équipe oncologique. Cette collaboration permet d’identifier les risques d’interactions médicamenteuses, d’optimiser le traitement ARV quand cela est nécessaire, de définir les chimioprophylaxies vis-à-vis de certaines infections opportunistes et d’établir un protocole de prise en charge de la douleur individualisé, prenant en compte l’exposition éventuelle à des opiacés.
En France existe une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) nationale ONCOVIH, qui permet de discuter des dossiers de patients PVVIH atteints de cancers et d’apporter des conseils thérapeutiques.
Virus Humain Papilloma (HPV)
L’infection à Human Papilloma Virus (HPV) est une infection courante transmise lors des contacts sexuels, le plus souvent dès les premières relations sexuelles, et qui touche 80 % de la population générale. Il existe 40 génotypes d’HPV infectant la sphère muco-génitale humaine, classés selon leur potentiel carcinogène c’est-à-dire inducteur de cancer :
les génotypes à bas risque (HPV 6 et 11) sont responsables des condylomes (tumeurs bénignes) ;
les génotypes à haut risque (HR) (HPV 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 68) sont associés aux lésions cancéreuses.
La plupart des infections par HPV sont transitoires et asymptomatiques, mais les infections par HPV HR persistant plus de 12 à 18 mois peuvent conduire à l’apparition de cancers du col de l’utérus, du vagin, de la vulve, du pénis, de l’anus et de l’oropharynx (en particulier des amygdales et de la langue).
Le cancer du col
Le cancer du col est le cancer induit par HPV le plus fréquent dans le monde, avec 570 000 femmes atteintes en 2018 dont plus de 85 % vivant dans les pays à ressources limitées. Les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique australe sont les plus touchés. Le nombre annuel de décès est de 311 000, souvent dus à un diagnostic tardif. L’Organisation mondiale de la santé a lancé́ en 2018 un appel à l’action mondiale, relayé par ONUSIDA, pour l’élimination du cancer du col via quatre types d’actions : l’éducation à la santé sexuelle, la vaccination contre HPV, le dépistage du cancer du col et l’accès aux soins curatifs et palliatifs.
Parmi tous les cancers observés dans la population générale, il est estimé que 4,5 % sont dus à HPV. Cette proportion atteint 15 % chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) Dans le monde, 30 % des cancers dus à HPV touchent les hommes.
Le cancer anal
Rare dans la population générale (incidence de 1 à 2/100 000 patients-année), il touche beaucoup plus souvent les PVVIH, surtout les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), mais aussi des femmes VIH+ ayant eu des lésions (pré)cancéreuses du col. D’autres cancers oropharyngés sont liés à HPV.
Dépistage et prévention
L’infection à HPV et les lésions cancéreuses associées sont responsables d’une lourde morbi-mortalité des PVVIH dans toutes les régions du monde. La prévention de ces affections hautement évitables passe par la vaccination dès la préadolescence jusqu’à l’âge adulte inclus et par le dépistage actif des cancers du col et de l’anus, soit dans des structures existantes soit en intégrant ces services au sein des consultations VIH. Ces interventions représentent une excellente opportunité́ de sensibiliser la population générale, les patients et les prestataires de soins de santé́ au risque des cancers liés au HPV.
Vieillissement
Le vieillissement se définit comme une perte progressive de l’intégrité physiologique conduisant à des atteintes fonctionnelles hétérogènes selon les organes, à une augmentation de la vulnérabilité (en anglais frailty) ainsi qu’à une incapacité à réaliser des actes de la vie courante (en anglais disability). Il s’associe à une augmentation de la prévalence de maladies associées au vieillissement (comorbidités).
L’espérance de vie
En France en 2018, l’espérance de vie était, pour la population générale, de 79,4 ans chez les hommes et de 85,3 ans chez les femmes. L’espérance de vie est très dépendante du niveau socio-économique : il y a 13 ans d’écart chez les hommes et 8 chez les femmes entre les catégories les plus modestes et les plus aisées.
On évalue également l’espérance de vie en bonne santé, dont les définitions sont nombreuses et utilisent souvent l’état de santé perçu par le sujet, très lié à la qualité de vie. En France, cette espérance n’est que de 64,1 ans chez les femmes et de 62,7 ans chez les hommes (Le Monde, 20/02/2019).
Dans les pays occidentaux, les PVVIH sont actuellement, en majorité, traitées et contrôlées. Donc ces personnes vivent plus longtemps.
Dans la cohorte hospitalière française, sur environ 100 000 PVVIH en 2017, 56% des hommes avaient plus de 50 ans et 20,5% plus de 60 ans. Ces chiffres sont respectivement de 41% et 13% chez les femmes.
Les données de la cohorte Suisse, sur 16 532 PVVIH suivies entre 1988 et 2013, montrent que l’espérance de vie à 20 ans a augmenté d’une durée initiale de 11,8 ans à la période des monothérapies à 54,9 ans avec les traitements récents.
Cette espérance de vie reste cependant inférieure à celle de la population générale : les facteurs associés à cette surmortalité sont un niveau d’éducation bas, le sexe masculin, le tabagisme et l’utilisation de drogues intraveineuses, ainsi qu’un taux bas de CD4 au moment de la prise en charge.
En outre, les PVVIH présentent davantage de comorbidités classiquement associées au vieillissement : atteintes cardiovasculaires dont hypertension artérielle, métaboliques, osseuses, neurologiques, rénales, hépatiques, mais également troubles mentaux (dépression, anxiété, consommation importante d’alcool et des drogues).
Dans les pays à ressources limitées, l’espérance de vie à 20 ans est plus faible. Cependant peu de données sont disponibles chez les PVVIH sur l’espérance de vie en bonne santé. Cet aspect est particulièrement important dans cette population vulnérable, accumulant les comorbidités et ayant souvent une qualité de vie dégradée.
Définitions
Fragilité (frailty) : sujet vulnérable, à risque de dépendance en cas d’évènement incident (pathologie, médicament, évènement psychosocial). Ce diagnostic utilise le plus souvent les 5 critères de Freid : perte de poids non intentionnelle (>4,5 kg dans l’année) ou sarcopénie, fatigue, faible activité physique, faible force musculaire (grip-test), vitesse de marche lente (<0,7 m/s). La fragilité est diagnostiquée en présence de 3 critères ou plus. Les sujets sont pré-fragiles en présence de 1 ou 2 critères.
Multimorbidité : au moins deux comorbidités liées à l’âge.
Polymédication : prise de 5 médicaments ou plus.
Dépendance pour les activités de la vie quotidienne : soit des activités basiques (s’habiller, se laver, se nourrir, se déplacer, être continent), soit des activités instrumentales (téléphoner, faire ses courses, prendre des transports en commun, conduire, prendre ses médicaments, gérer ses comptes).
Prévalence des comorbidités et syndromes gériatriques chez les PVVIH
Les études de cohortes européennes montrent que la prévalence des comorbidités cardiovasculaires, hypertension surtout, est augmentée chez les PVVIH par rapport à des populations témoins appariées - autrement dit comparables pour tous les facteurs de risque. De plus, la prévalence d’une multimorbidité est également supérieure, comme s’ils avaient dix ans de plus. Un état de fragilité est plus fréquent (10,6% versus 2,7%).
Physiopathologie du vieillissement
Le vieillissement est évidemment un phénomène complexe et multifactoriel qui implique :
des atteintes du génome de la cellule qui va vieillir (raccourcissement des télomères, qui sont des séquences d'ADN protégeant les chromosomes, instabilité génétique ;
un arrêt de la division des cellules avec un état de sénescence ;
un mauvais fonctionnement des mitochondries – la pompe énergétique des cellules - et une augmentation de la production de métabolites oxydatifs délétères (stress oxydant), des atteintes du métabolisme nutritionnel et du microbiote intestinal.
Tout cela aboutit à la mort progressive des cellules et contrairement à la jeunesse en devenir, celles-ci ne sont pas toujours remplacées. Plusieurs de ces atteintes entrainent un état d’inflammation systémique à bas bruit lié à production par les tissus de molécules de type cytokines pro-inflammatoires qui vont favoriser diabète, atteintes cardiovasculaires et neurodégénératives, cancers.
Chez les PVVIH, les mécanismes de vieillissement sont souvent amplifiés par d’autres facteurs, comme la présence du VIH dans les réservoirs, certains ARV (en particulier les analogues nucléosidiques de première génération, dont l’effet persiste à distance, et certaines anti-protéases). Les co-infections fréquentes, en particulier par le virus CMV, l’atteinte de la flore intestinale ou dysbiose, l’épuisement du système immunitaire sont également en cause dans ce vieillissement accentué.
Les facteurs personnels jouent toujours un rôle important : outre l’âge, le mode de vie à risque des sujets (tabagisme, consommation excessive de toxiques) ainsi que la sédentarité et une alimentation riche en calories et en lipides.
Prise en charge des PVVIH âgés
Le prise en charge des comorbidités est le plus souvent du ressort des spécialistes des organes concernés. En présence d’un patient avec plusieurs comorbidités, il est important de vérifier l’ensemble des traitements qu’il prend pour s’assurer de l’absence d’interactions médicamenteuses pouvant conduire à une toxicité, du fait d’une diminution des fonctions hépatiques et rénales chez les sujets âgés.
En cas de polymédication, il faut optimiser et alléger les traitements en prenant en compte le bénéfice clinique et les préférences du patient. Une coordination et une priorisation entre les spécialités permet de privilégier les pathologies à prendre en charge et revoir les seuils acceptables de la tension artérielle et des paramètres biologiques.
Le maintien de l’exercice physique est important et porte principalement sur la prévention des chutes. Cette dernière peut passer par la réduction ou l’arrêt des psychotropes, des antihypertenseurs, des statines. Une prise en charge par des kinésithérapeutes et des podologues peut être utile. Des modifications de l’organisation du domicile et une aide technique sont parfois nécessaires. Une alimentation appréciée et diversifiée est importante pour prévenir la dénutrition et l’atrophie de la masse musculaire.
Cette prise en charge peut parfois permettre de sortir le patient de l’état de fragilité.
Pour en savoir plus
Consultez le livre AFRAVIH, chapitre Comorbidités au cours de l’infection VIH (pp 542-642)
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