Impact du VIH sur l'organisme, déficit immunitaire et Sida
L’infection VIH conduit en une dizaine d’années à une perte massive des défenses immunitaires contre les agents infectieux mais aussi contre les cancers, créant cette maladie constamment mortelle que l’on appelle SIDA. Bien que le virus n’infecte qu’une part minime des cellules du système immunitaire, il cible les lymphocytes CD4, cellules chefs d’orchestre de ces défenses immunes en se fixant sur leur membrane à la molécule CD4, conduisant à la destruction et à la désorganisation du système de défense.
Comment fonctionne le système immunitaire ?
Ces défenses sont organisées en deux grandes lignes de bataille comme une armée :
Une première ligne de défense, l’immunité innée, est exercée par des patrouilles circulant dans tout le corps, comprenant notamment les cellules appelées macrophages portant la molécule CD4. Ce sont les sentinelles du corps. Ils résident dans tous les tissus pour surveiller l’invasion éventuelle d’agents étrangers et exercer immédiatement un premier contrôle en les amenant aux casernes de la deuxième ligne de défense.
La deuxième ligne de défense est composée de casernes spécialisées reliées par des canaux. Ce sont : les ganglions, la rate et les parois de l’intestin et des bronches composent les tissus lymphoïdes emplis de cellules appelées lymphocytes.
Ces lymphocytes sont chargés des défenses « intelligentes », adaptées à chaque agent infectieux : on parle d’immunité adaptative. Les lymphocytes se répartissent en deux groupes ou corps d’armée: le premier, les lymphocytes T, travaillent directement de cellule à cellule, comme des fantassins ; la moitié porte à leur surface la molécule CD4 et a pour rôle de commander à toutes les autres cellules immunes de se mettre en ordre de bataille.
D’autres lymphocytes T, appelés CD8+, sont chargés de détruire les cellules infectées dans les tissus malades. Le second corps d’armée, les lymphocytes B, agit comme des artilleurs et produit des anticorps envoyés partout dans le corps pour le protéger contre les microbes. En situation normale environ 2% de tous ces lymphocytes circulent dans le sang : la moitié est composée de lymphocytes CD4+ et un quart de lymphocytes CD8.
Ainsi, le taux normal de lymphocytes CD4+ sanguins est en moyenne autour de 1000/mm3. On évalue également le bon fonctionnement du système immunitaire avec le rapport CD4/CD8 qui est normalement égal ou supérieur à un. Les taux de l’ensemble des lymphocytes sanguins reflètent non seulement les lymphocytes T CD4+, représentant habituellement entre 35 et 60% des lymphocytes, mais aussi les lymphocytes T CD8+, entre 15 et 35%, les lymphocytes B et les lymphocytes NK, chacun entre 5 et 10%.
Ces taux restent constants jusqu’à des âges très avancés. C’est la moelle osseuse et le tissu lymphoïde qui produisent en permanence tout au long de la vie de nouvelles cellules immunes et des lymphocytes afin de garder des stocks constants. Chez l’enfant, les nombres de lymphocytes circulants sont très élevés (5000/mm3 ou plus) jusqu’à cinq ans pour leur permettre de constituer leurs défenses contre tous les nouveaux microbes rencontrés depuis la naissance.
Les deux lignes de défense innée et adaptative, dépendent toutes deux des lymphocytes CD4+, véritables chefs d’orchestre, et sont très spécialisées contre certains agents infectieux :
Les macrophages de la première ligne avalent (on dit phagocytent) et détruisent certains microbes, surtout des bactéries comme le BK, responsable de la tuberculose, et des champignons microscopiques comme le candida.
D’autres cellules de cette première ligne, appelées globules blancs polynucléaires, détruisent d’autres types de bactéries comme les pneumocoques, responsables de pneumonies et méningites, ou des parasites microscopiques comme le toxoplasme.
Une autre famille de cellules de première ligne, les lymphocytes NK (pour Natural Killer) peuvent tuer spontanément toute cellule infectée par un virus ou une cellule cancéreuse. Cette première ligne peut agir seule mais son activité et donc son efficacité dépendent des lymphocytes CD4+.
Dans la deuxième ligne, les lymphocytes CD4 s’activent et se multiplient et envoient des ordres spécifiques aux autres cellules, notamment aux lymphocytes CD8+, pour les faire se multiplier, maturer et devenir capables de tuer les cellules infectées par un virus ou des cellules tumorales, et aux lymphocytes B pour qu’ils produisent des anticorps contre tout agent infectieux. Ces lymphocytes B et CD8 de deuxième ligne ne peuvent agir que sur ordre des lymphocytes CD4+ et il leur faut entre une à plusieurs semaines pour fabriquer des défenses optimales.
Juste après la bataille, lorsque l’infection est maîtrisée, un grand nombre de ces lymphocytes T et B, épuisés et devenus inutiles, meurent ; les moins épuisés survivent et gardent en mémoire toute cette activation et cette maturation. Ces lymphocytes T et B mémoire persistent des dizaines d’années et seront capables de produire immédiatement à tout moment des défenses adaptées lorsque le même agent infectieux se représentera.
Comment le VIH infecte-t-il le système immunitaire ?
Le VIH touche le cœur du système immunitaire et paralyse l’ensemble des défenses en ciblant les macrophages et les lymphocytes. Le VIH infecte les cellules CD4+ en fixant fortement son enveloppe, par la molécule gp120, sur la molécule CD4. La gp120 doit ensuite se fixer sur un deuxième récepteur membranaire, le CCR5, pour injecter le virus dans la cellule. La paroi du lymphocyte CD4 se comporte comme une porte blindée avec deux serrures que la clé gp120 doit ouvrir successivement : d’abord la gp120 puis le CCR5.
Une fois le virus pénétré à l’intérieur de la cellule, il produit une copie d’ADN, le provirus, qu’il va envoyer dans le noyau de la cellule où ce provirus s’intégrera dans le code génétique de la cellule. Cette étape est irréversible.
A ce jour, aucun traitement ne peut éliminer ce provirus intégré. Neuf cellules infectées sur dix sont des lymphocytes CD4 et le reste, un sur dix, sont des macrophages.
La majorité des contaminations se fait par voie sexuelle. Le VIH pénètre donc le plus souvent par des brèches dans les muqueuses ; il est immédiatement détecté par les macrophages CD4+ auxquels il se colle ou qu’il infecte immédiatement. Comme le rôle des macrophages est d’apporter les fragments d’agents infectieux aux ganglions voisins, ceux-ci vont, très rapidement, diffuser le VIH aux lymphocytes CD4+ situés dans les ganglions. Quelques lymphocytes CD4 intra-ganglionnaires, contenant le VIH s’échappent dans le sang, disséminant alors l’infection dans la totalité de l’organisme en quelques heures (24-36H). Lors d’une infection par voie sanguine, le processus est encore plus rapide.
Mais le VIH n’infecte pas toutes les cellules CD4+.
La quasi-totalité du virus (90-95%) se trouve dans les lymphocytes T CD4 qui recirculent en permanence dans l’organisme ; les 5-10% restants sont des macrophages, les cellules sentinelles patrouillant dans les tissus. Et à l’intérieur du compartiment de lymphocytes T CD4, le virus va infecter plus facilement les lymphocytes T CD4+ mémoire qui co-expriment les deux récepteurs CD4 et CCR5 et s’activent plus rapidement.
Ces lymphocytes T CD4+ mémoire constituent ainsi le réservoir principal de VIH.
L’ADN de celui-ci est intégré dans le noyau de la cellule qui l’héberge. Or, pour se répliquer le VIH a besoin que la cellule CD4+ s’active : ainsi l’activation de défenses immunes contre n’importe quel agent infectieux ou vaccin déclenchera fatalement la production de VIH. C’est le phénomène de la « belle au bois dormant » : à tout moment il y aura deux types de cellules CD4+ infectées : les cellules dormantes au repos, non activées et incapables de produire du virus, et des cellules CD4+ qui ont reçu un signal d’activation, se réveillant au contact du baiser du prince charmant mais produisant alors automatiquement du VIH. Comme nous le verrons plus loin, le VIH des cellules dormantes n’est pas sensible aux antirétroviraux et constitue le réservoir latent du virus pouvant se maintenir durant des dizaines d’années.
Comment le VIH détruit-il le système immunitaire et conduit-il au SIDA?
En détruisant les cellules CD4+, le VIH altère profondément le fonctionnement du système immunitaire et conduit au syndrome d’immunodéficience acquise ou SIDA. Sans macrophages CD4+ et surtout sans lymphocytes CD4+, le système immunitaire est paralysé. Cette destruction est lente et se produit sur environ 10 ans conduisant à la disparition des lymphocytes T CD4+ ou lymphopénie CD4 caractéristique du SIDA. Cette destruction est aggravée par une paralysie du système immunitaire empêchant toute nouvelle défense immune.
Lymphopénie T CD4+
Le taux de lymphocytes T CD4+ baisse inéluctablement en l’absence de traitement antirétroviral. La surveillance du taux de lymphocytes T CD4+ dans le sang permet d’estimer la gravité et l’ancienneté de l’infection VIH. On décrit 3 phases dans cette lymphopénie CD4 :
Baisse rapide du taux de lymphocytes T CD4+ lors de la primo-infection, due à la production majeure de VIH et pouvant descendre jusqu’à 200 CD4+/mm3, puis se redressant partiellement mais restant inférieur aux valeurs normales ;
Décroissance lente entre 500 et 200 lymphocytes T CD4+/mm3 sur une longue période de 8 à 10 ans correspondant aux phases de production plus faible de VIH ;
Décroissance rapide et inéluctable sous le seuil de 200 CD4+/mm3, définissant le SIDA. Un taux de lymphocytes T CD4+ en dessous de 50/mm3 signale généralement un risque élevé de mort par SIDA dans les 6 mois.
A cette lymphopénie CD4 s’ajoute une augmentation des taux de lymphocytes T CD8+, impliqués dans la lutte contre le VIH. Il s’en suit une inversion du rapport normal entre les taux de lymphocytes T CD4 et CD8, passant en-dessous de 0.9 après la primo-infection pour arriver à des valeurs inférieures à 0,1 en phase terminale de SIDA.
La lymphopénie T CD4+ chez les enfants est plus difficile à évaluer en cas d’infection par voie maternelle. En effet les taux normaux de lymphocytes T CD4+ étant proches de 4000/mm3, les seuils d’alerte observés pour l’adulte ne sont pas valables. On utilise alors le pourcentage de lymphocytes T CD4+, et le seuil d’alerte devient un taux inférieur à 20% des lymphocytes sanguins.
De façon tout à fait exceptionnelle, chez certaines personnes, cette lymphopénie CD4 ne se produit pas ou très lentement et leur système immunitaire parvient à contrôler fortement et durablement le VIH, grâce à des gènes très particuliers. On parle de non progresseurs ou de Contrôleurs (HIV Controllers) mais ceux-ci représentent moins de 1% de l’ensemble des personnes infectées par le VIH.
Plusieurs mécanismes interviennent dans cette perte de lymphocytes T CD4+ :
Destruction des cellules CD4+ infectées par le virus lui-même et par les défenses immunes
Les cellules CD4 produisant activement du VIH sont détruites par le virus (c’est l’effet cytopathogène) et meurent en 1,2 jours en moyenne alors que leur durée de vie normale s’étale entre 2 semaines et une dizaine d’années.
Mais paradoxalement, le système immunitaire se défend contre le VIH tant qu’il y a encore suffisamment de lymphocytes T CD4+. Ceux-ci activent les lymphocytes CD8 tueurs et B producteurs d’anticorps qui détectent des fragments de VIH à la surface des cellules CD4+ produisant du virus et les détruisent avant même que le VIH ne les détruise. Ainsi les lymphocytes T CD4+ déclenchent un véritable suicide collectif.
Destruction des cellules CD4+ non infectées par l’inflammation et l’épuisement
Cependant la grande majorité des cellules CD4+ qui meurent chaque jour ne sont pas infectées. Ce phénomène étonnant résulte de l’activation massive et permanente des défenses immunitaires et de l’inflammation qu’induit la réplication non contrôlée du VIH. La réplication du VIH i, produisant en moyenne chaque jour entre 10 000 et 1 milliard de particules virales pendant 10 ans, produit une inflammation chronique extrèmement prolongée qui conduit à la mort progressive par épuisement des lymphocytes CD4+ non infectés, et à un moindre degré l’ensemble des cellules immunes
Perte des capacités de production de lymphocytes T CD4+
Le renouvellement normal des stocks de lymphocytes T CD4+, ne suffit pas à compenser ces pertes. Comme en temps de guerre, la moelle osseuse et le tissu lymphoïde produisent plus mais, finalement s’épuisent du fait de la durée extrèmement prolongée de l’infection VIH.
De plus l’activation permanente des lymphocytes CD4 mémoires non infectés conduit à un épuisement les rendant incapables de se multiplier.
Perte des fonctions de défense et maladies opportunistes
Cette lymphopénie T CD4+ désorganise toutes les lignes de défense immune, elles-mêmes altérées par l’inflammation et l’épuisement chronique.
Ces lignes de défense ne peuvent plus contrôler les agents infectieux que nous hébergeons tous en permanence et avec lesquels nous co-existons pacifiquement en situation normale. Au cours du SIDA ces agents infectieux profitent de la désorganisation de ces défenses pacifiques et prolifèrent, développant des infections que l’on appelle « opportunistes » car elles profitent de l’opportunité du déficit immun pour se développer. Ainsi apparaissent d’abord des infections à champignons, les candidats, à parasites comme les pneumocystis jirovecii source de pneumocystose, ou le toxoplasma gondii, source de toxoplasmose, ou à virus EBV source de lymphomes, ou virus CMV source de cécité, ou virus HHV8 source de cancers, et toute sorte d’autres pathogènes opportunistes.
A ces infections opportunistes s’ajoutent la perte de défenses contre les agents infectieux « étrangers » à notre organisme, au premier rang desquels vient le BK et la tuberculose, mais aussi des défenses contre des virus sources de cancers comme le virus de l’hépatite B ou C responsables de cancers du foie, ou le papillomavirus responsable de cancers ano-génitaux.
Non seulement le déficit immunitaire causé par le VIH provoque ces multiples infections et cancers mais celles-ci induisent encore davantage d’inflammation, aggravent l’épuisement des défenses et creusent davantage le déficit immunitaire.
L’inflammation croissante altère également l’ensemble du métabolisme et épuise physiquement le patient qui maigrit inexorablement : c’est la « slim disease ».
A partir du moment où les 1eres infections et cancers opportunistes apparaissent le déclin est inévitable et conduit à la mort du patient.
Restauration immunitaire sous antirétroviraux
Ces altérations mortelles ne sont pas définitives. L’arrêt de la réplication virale sous antirétroviraux permet au système immun de se reconstituer, de renouveler les stocks de lymphocytes T CD4+ qui ne sont plus détruits par le VIH, et de restaurer des défenses immunes efficaces contre tous les agents infectieux et les cancers. L’inflammation elle aussi se réduit bien que plus lentement.
Les courbes de déclin des lymphocytes T CD4 s’inversent et retournent lentement mais surement vers des valeurs normales tant que le VIH reste contrôlé. Les infections opportunistes et les cancers deviennent plus faciles à traiter et disparaissent progressivement. De plus le contrôle du VIH réduit les taux de lymphocytes T CD8+ et le rapport CD4/CD8 se normalise progressivement de par la combinaison de l’augmentation des CD4+ et de la diminution des CD8+.
Cependant cette restauration immune peut prendre des années. La récupération quantitative peut ne pas être totale et les lymphocytes CD4 peuvent rester bas (< 350/mm3)
Les fonctions immunitaires et en particulier les défenses contre certains cancers peuvent rester impactés si le déficit immunitaire a été profond (< 200 CD4/mm3) ce qui peut expliquer en partie la prévalence plus fréquente de certains cancers en particulier liés aux virus HPV, HBV, HCV.
Dernière mise à jour