Retentissements psychologiques et sociaux de l'infection par le VIH
Dans le monde, les problèmes de santé mentale ont un retentissement important sur l’existence des personnes en termes de souffrance psychique, de retentissement sur la vie affective et professionnelle, d’augmentation des addictions, voire de la survenue de suicides. Cette situation a été aggravée par la pandémie de COVID-19, qui a contribué à une dégradation de l’état psychique des populations. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) rapporte une augmentation significative des problèmes de santé mentale dans la population générale au cours de la première année de la pandémie. En 2020, les cas de troubles dépressifs majeurs et de troubles anxieux ont augmenté respectivement de 27,6% et 25,6% dans le monde. Le jeune âge, le sexe féminin et les problèmes de santé préexistants sont des facteurs de risque souvent signalés.
Découvrir sa séropositivité au VIH
Découvrir sa séropositivité au VIH aujourd’hui reste un événement majeur, avec d’importantes conséquences dans sa vie quotidienne et dans la modification du lien aux autres. Être chroniquement atteint peut être bien supporté ou au contraire difficilement accepté. À l’extrême, il peut exister des problèmes d’observance des traitements, voire un déni de l’atteinte.
Selon que l’on habite dans les pays du Sud ou ceux du Nord, que l’on dispose d’un accès aux soins aisé ou non, que son orientation sexuelle est acceptée ou pas, les conséquences ne seront pas les mêmes. Pour certains, le poids de cette découverte va entrainer des répercussions psychiques douloureuses, dépression, anxiété, voire idées suicidaires. Ces troubles psychiques sont l’une des plus importantes comorbidités dans le cadre de l’infection par le VIH et leur prévalence est supérieure à celle retrouvée dans la population générale.
Certains découvrent aujourd’hui leur séropositivité sur un mode traumatique, lors d’un bilan pratiqué au début d’une grossesse ou au décours d’un parcours migratoire difficile. D’autres sont informés de leur atteinte à un stade tardif, à l’occasion d’une infection opportuniste ou d’une altération de leur état de santé. L’annonce de la séropositivité à certains migrants convoque chez eux des représentations de la maladie telle qu’elle est vécue dans leur pays. Les phénomènes de stigmatisation et de discrimination restent très présents, et l’ignorance concernant le VIH croit d’année en année, surtout chez les plus jeunes.
Certains HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) l’apprennent lors d’un test de dépistage de routine alors même qu’ils pensent n’avoir « presque » pas pris de risques. Certes, l’usage de la prophylaxie pré-exposition (PrEP), principalement utilisée dans cette population, a changé la donne mais elle reste sous-employée. En France, elle n’est utilisée que par environ 15% des personnes éligibles à son usage.
Vivre avec le VIH
Lorsqu’un patient est bien informé et pris en charge, l’amélioration des traitements, la restauration de l’immunité et l’acquisition d’une charge virale indétectable permettent assez rapidement un suivi allégé. Les liens avec l’hôpital (toujours vécu comme le lieu de la maladie grave) se distendent et les médecins de ville prennent le relais, ce qui contribue à banaliser l’infection. La prise d’un traitement quotidien vient rappeler la présence du VIH, mais cette contrainte existe aussi dans bien d’autres maladies chroniques.
Pour certains cependant, tous ces éléments positifs ne font pas sens. Le signifiant « sida » vient recouvrir leur vie de son ancien poids mortifère. L’idée qu’en arrêtant le traitement la mort serait rapide reste communément répandue et contribue au maintien de la perception d’une maladie « dangereuse ».
De facto, les conséquences de l’atteinte sur la vie privée sont importantes : comment le dire au partenaire, à l’entourage, à la famille ? Lors de la découverte, quel est le statut sérologique du partenaire, des enfants ? Aujourd’hui, beaucoup de personnes séropositives ne divulguent leur infection qu’à très peu de gens, craignant aussi bien la stigmatisation que la compassion ; en conséquence, l’infection devient de plus en plus invisible et anonyme.
La recherche d’un partenaire est pour certain(e)s un « parcours du combattant » qui peut entrainer un arrêt de la vie amoureuse et sexuelle. Il est important de rappeler le bénéfice majeur du contrôle de l’infection par le traitement, à savoir la non-transmissibilité du VIH, qui va rendre la vie sexuelle plus souriante.
Les fréquentes difficultés sociales et les conditions de vie, en particulier des patients immigrés, rendent malaisée la construction d’une famille. L'importance de la crise économique fragilise encore davantage les personnes en difficultés d'insertion.
Pour la plupart des migrants, le retour au pays d’origine devient impossible, tant les systèmes de soins locaux sont, la plupart du temps, défaillants ou vécus comme tels. Les liens familiaux sont altérés par l’éloignement, les familles sont souvent décomposées/ recomposées.
Aujourd’hui, les représentations sociales sont très paradoxales : il existe d’un côté un discours rassurant de « villes » ou de « pays » « sans sida », alors que pendant encore des dizaines d’années, les personnes atteintes vont devoir vivre avec le VIH. Ce discours accentue le fossé entre le Nord et le Sud, où l’on parle à présent de 4e épidémie.
Impacts psychosociaux des troubles psychiatriques
La dépression a été classée par l’OMS, en 2015, comme le plus grand contributeur mondial à l'incapacité : elle représente 7,5% de toutes les années vécues avec une incapacité (AVI). Les répercussions globales sont également coûteuses : l’OMS estime que le trouble dépressif caractérisé serait dès 2020 au premier rang de l’ensemble des maladies en termes de dépenses globales, directes et indirectes pour la société.
Les troubles psychiatriques ont de lourdes conséquences sur la qualité de vie et l’observance (oubli des prises de traitements, des consultations…). Ils entrainent une consommation plus fréquente de substances (licites ou illicites) telles l’alcool ou de substances psychoactives, dont les psychotropes. Ils peuvent engendrer une augmentation des prises de risques, avoir un retentissement sur la sexualité, des répercussions sur la vie affective, familiale, sociale et professionnelle, et une altération des capacités de travail. Enfin, les troubles dépressifs peuvent avoir des répercussions négatives en majorant les risques de discrimination à l’égard du patient (les troubles mentaux sont très stigmatisés) et en augmentant l’isolement et/ou la précarité.
Dépistage des troubles psychiatriques
Le dépistage passe avant tout par l’écoute du patient et le repérage précis des symptômes. Pendant la consultation, on recherche par exemple la tristesse de l’humeur, l’idée d’un avenir sombre, les troubles de la concentration, ou au contraire l’exaltation voire des idées délirantes. On interroge aussi le patient sur le retentissement des troubles dans la vie personnelle : vie affective, familiale, professionnelle… L’interrogatoire recherche également les antécédents, les épisodes antérieurs (prises en charges, traitements). Le dépistage des prises de toxiques et des addictions est fondamental.
Dépression
Dans la population générale, la fréquence des troubles dépressifs est élevée. Leur dépistage est négligé, la sensibilisation et la formation des personnels soignants est souvent insuffisante. L’absence de spécificité des signes cliniques (absence d’appétit, fatigue, troubles du sommeil, disparition de la libido…) rend le diagnostic difficile. De surcroit, au cours de l’infection par le VIH, ces signes peuvent avoir une cause somatique ou être liés aux effets indésirables des traitements antirétroviraux.
La dépression comporte une diversité de symptômes mais requiert des critères diagnostiques précis : une humeur dépressive avec un sentiment de tristesse, de vide, une perte d’intérêt et de l’abattement. Cette humeur dépressive est associée à une douleur morale profonde, une perte de l’estime de soi et un pessimisme majeur, parfois associé à des idées de culpabilité inappropriées. S’y ajoute une perte d’intérêt et du plaisir à l’égard des activités quotidiennes, même celles qui étaient habituellement plaisantes et, à l’extrême, des idées suicidaires. Des troubles cognitifs peuvent être associés, avec concentration et attention réduites, des troubles de l’aptitude à penser, ainsi que des manifestations physiques : ralentissement psychomoteur, perte d’énergie, troubles du sommeil, de l’appétit…
On estime que près d’un Français sur 5 (19% des Français de 15 à 75 ans, soit près de 8 millions de personnes) ont vécu ou vivront une dépression au cours de leur vie. Il est bien établi que les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) souffrent davantage de dépression que la population générale, à tous les stades de l’infection, même précoce. Si les études montrent une amélioration de l’état psychique (toutes symptomatologies confondues) chez la moitié des patients depuis la mise en place des traitements par multithérapie antirétrovirale, il reste de nombreux facteurs comme l’isolement ou les problèmes socio-économiques qui rendent la dépression fréquente.
Dans une étude de 2015 reprenant les données d’une vingtaine de publications, la prévalence moyenne de la dépression chez les PVVIH est estimée à 42%, le double de celle retrouvée en population générale].
Le taux de dépression est élevé dans des populations spécifiques. En dehors même de la séropositivité, les jeunes HSH (16-25 ans) sont les plus susceptibles de présenter un état dépressif et d’avoir des comportements sexuels à risque. Une étude italienne a diagnostiqué une dépression majeure chez 36,2% des injecteurs de drogues séropositifs examinés, à comparer avec une fréquence de 15,7% chez la même population séronégative pour le VIH. La pauvreté, l’absence de domicile jouent également un rôle important.
Les effets de la dépression sur l’activité sexuelle chez les PVVIH peuvent prendre deux formes : un accroissement de la libido accompagné d’une désinhibition des conduites sexuelles, ou une abstinence initiale suivie d’un réengagement dans une sexualité comportant éventuellement des prises de risque.
Une étude camerounaise rapporte qu’un patient sur 5 (20%) suivis dans un hôpital de jour de Bamenda présente des critères de dépression majeure et que 7% ont déjà souffert d’une dépression majeure l’année précédente. Mais seuls 33% des patients ont parlé de dépression avec leurs soignants et seulement 12% ont bénéficié d’un traitement efficace. Une telle fréquence de la dépression la situe proche de celles de la tuberculose et de l’hépatite B et suggère que sa prise en charge devrait être incluse dans les guides de l’OMS.
Aux États-Unis, les femmes noires PVVIH (les afro-américaines sont touchées de manière disproportionnée par le VIH au regard d’autres populations nord-américaines), vivant quotidiennement les micro-agressions racistes, la discrimination liée à la race et au VIH, souffrent pour 24% d’entre elles de dépression majeure.
Les PVVIH âgées souffrent particulièrement de dépression. Une étude effectuée à New York dans le cadre de la Research on Older Adults with HIV (ROAH) avec 914 séropositifs âgés de 50 ans (ou plus) a montré que 39,1% des participants présentaient des symptômes de dépression majeure. Celle-ci était significativement associée à la stigmatisation associée au VIH, à une solitude accrue, à une atteinte cognitive et à de bas niveaux d’énergie.
Troubles anxieux
Leur intensité va de l’anxiété diffuse à l’attaque de panique. Les troubles anxieux graves regroupent six entités cliniques : le trouble anxieux généralisé (TAG), le trouble panique avec ou sans agoraphobie, le trouble anxiété sociale, la phobie spécifique, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) et l’état de stress post-traumatique (ESPT).
En population générale, la prévalence du TAG est de 5,1%, deux fois plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Être âgé de plus de 24 ans, être séparé, veuf, sans emploi sont des facteurs significativement associé au TAG. Ce trouble s’associe dans 90% des cas avec d’autres troubles psychiatriques. La majorité des patients rapporte un impact important sur leur vie, en particulier dans le domaine professionnel et la consommation de médicaments. Les symptômes comprenant des troubles somatoformes (sécheresse de la bouche, sensation de tension interne, de « souffle coupé », d’étouffement, paresthésies, éruptions dermatologiques), ou encore des symptômes allant de difficultés de concentration à l’idée de mort imminente. Certains symptômes évoquent une pathologie cardiaque (douleur ou gêne thoracique), gastrique (diarrhées, vomissements, nausées ou gênes abdominales), neurologique (sensation de vertige, d’instabilité, de tête vide, tremblements, impression d’évanouissement) ou encore psychiatriques (déréalisation ou dépersonnalisation).
Les troubles anxieux peuvent être présents avant la séropositivité. Dans une étude sud-africaine portant sur 485 PVVIH, un tiers souffrait d’anxiété ou de troubles dépressifs avant même le test.
L’amélioration de l’état clinique des PVVIH dans les pays développés s’accompagne d’une diminution des états anxieux. Le trouble anxieux reste de 1,5 à 2 fois plus fréquent chez les PVVIH que dans la population générale. À Abidjan (Côte d’Ivoire), l’anxiété est retrouvée chez 31,5% des PVVIH et la dépression chez 9,7%.
Suicide
Avec plus d’un million de décès chaque année, le suicide est la 14e cause de mortalité dans le monde, et ce chiffre devrait augmenter de 50% pour en devenir la 12e cause d’ici 2030. Les trois quarts des suicides ont lieu dans les pays à faible revenu et à revenus intermédiaires. La plupart surviennent dans le contexte d’un trouble psychiatrique, en particulier la dépression. En population générale, on estime que le risque de suicide est multiplié par 30 au cours de l’épisode dépressif et que 10 à 20% des personnes souffrant de cette maladie meurent par suicide.
Le choc de l’annonce de la séropositivité VIH et le poids de la maladie chronique entrainent chez certains patients le désir de mourir. Passer à l’acte leur apparaît alors comme une solution, une délivrance. Dépister ces pensées de mort, les idées suicidaires et des antécédents de tentatives de suicide, est donc un enjeu majeur, même si ce sujet reste souvent difficile à aborder pour les patients mais aussi pour les soignants.
Certaines populations clés, marginalisées ou discriminées, appartenant à des minorités sexuelles sont particulièrement à risque. Une étude récente menée dans les systèmes de santé de la communauté LGB (Lesbian, Gay, Bisexual) rapporte que 20% des personnes appartenant à l’une de ces minorités sexuelles ont essayé de se suicider au cours de leur vie.
Cette question est étudiée depuis quelques années en Afrique, bien que le suicide y soit souvent caché, voire condamné. Les facteurs de stress les plus répandus sont le manque de soutien social, la peur de la divulgation/stigmatisation et les pressions socio-économiques. Comme souvent, la présence de troubles cognitifs est signalée dans le passage à l’acte suicidaire dans une étude sud-africaine. Le taux de prévalence des tentatives de suicide y est de 67,2 pour 100 000 avec un risque accru de tentatives de 13,33% à 18,87%.
Prise en charge
La prise en charge doit être pluridimensionnelle, associant traitement médicamenteux et psychothérapie. L’accès aux soins reste inégal car, dans de nombreux pays, il n’y a pas d’aide, ou très peu, pour les personnes ayant des troubles de santé mentale. Même dans les pays à revenu élevé, près de 50% des personnes ayant une dépression ne sont pas traitées, en particulier les personnes les plus démunies et les étrangers en situation précaire.
Le choix du traitement médicamenteux sera guidé par l’intensité des symptômes, l’état physique du patient, l’efficacité ou l’échec de traitements antérieurs, les effets secondaires des molécules.
On distingue ainsi les composés tricycliques, qui demeurent une référence, mais présentent des effets cholinergiques et une toxicité cardiaque ; les antidépresseurs de nouvelle génération, comme les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine ou ISRS, sont d’un maniement plus facile. Interviennent dans le choix, la forme galénique de la molécule (formes injectables, comprimés ou formes buvables), son coût journalier et les habitudes personnelles du prescripteur.
Mais la principale difficulté réside dans les interactions nombreuses des psychotropes avec les traitements antirétroviraux, particulièrement les inhibiteurs de protéase boostés, le ritonavir ou les INNTI. Seront privilégiées les stratégies utilisant des INI. On s’assurera auprès du médecin en charge du traitement antirétroviral de l’absence d’une interaction entre les antirétroviraux et les traitements antidépresseurs et anxiolytiques.
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